23ème
dimanche A
Il y a deux
semaines, nous avons entendu la fameuse confession de Pierre à Césarée :
il avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu
vivant ! » et Jésus lui avait répondu : « Tu es Pierre et
sur cette pierre je bâtirai mon Église », et il avait ajouté :
« je te donnerai les clés du Royaume des cieux : tout ce que tu auras
lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la
terre sera délié dans les cieux ». C’est pourquoi, saint Pierre est très
souvent représenté dans l’art avec un grand trousseau de clés.
Voici donc
la « clé » qui va nous permettre d’ouvrir l’évangile d’aujourd’hui.
Et vous verrez : cette clé est en fait un « passe-partout » que
nous possédons tous. Il suffit peut-être d’oser l’utiliser pour que les portes s’ouvrent…
Donc, les
mots-clé qui relient l’évangile d’aujourd’hui à ceux des dimanches précédents
et suivants, c’est « lier » et « délier ». Aujourd’hui,
Jésus ne le dit plus à Pierre seul, mais à tous ses disciples :
« Amen, je vous le dis… » (la déclaration est donc solennelle)
« tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout
ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » Cela
ressemble un peu à la parole solennelle prononcée par Jésus ressuscité, tout à
la fin de l’évangile de Jean, quand le Christ apparaît à ses disciples et leur
dit : « Recevez l’Esprit saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés,
ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront
retenus. » C’est dire la responsabilité qu’il nous confie ! En disant
cela, il nous confie le pouvoir de pardonner… il nous délègue un pouvoir
proprement divin !
« Lier »
et « délier », effectivement, cela fait souvent penser au pardon
accordé ou refusé. Mais ces mots peuvent aussi être compris d’une façon plus
large. Le verbe « lier » est souvent négatif. Il évoque une entrave,
une privation de liberté. Jésus est ligoté avant d’être conduit au
tribunal, comme Isaac a été lié sur le bois au moment où son père
Abraham croyait devoir l’offrir en holocauste. On parle aussi des « liens
de la mort » et quand Jésus ressuscite Lazare en l’appelant à sortir du
tombeau, il dit « déliez-le et laissez-le aller ».
Mais le mot
« lier » peut aussi évoquer quelque chose de très positif… par exemple :
l’alliance. Aujourd’hui, on entend beaucoup l’expression « il faut être
relié ». Telle personne est bien dans sa peau : elle est
« reliée ». Reliée à quoi ? à qui ? à des énergies
supérieures qui l’inspirent ? à des personnes ? En tout cas, il semble
qu’une personne « reliée » est le contraire d’une personne individualiste.
Même les îles sont reliées par la terre ferme cachée sous les profondeurs de
l’océan.
Quand nous
y réfléchissons pour nous-mêmes, nous sommes tous « reliés » par
toutes sortes de liens. Liens de sang, de la famille, du couple. Liens de
l’amitié, de la culture, de la langue… Nous avons tous des réseaux de liens
très divers, les uns plus serrés que les autres. Nous pouvons être reliés très
fort à une personne que nous ne voyons jamais, et beaucoup moins fort à notre
voisin de tous les jours… La plupart de ces liens, nous ne les avons pas choisis.
Que nous le voulions ou non, nous sommes liés, aujourd’hui, au destin de la
Belgique, de l’Europe, du monde tel qu’il est. Nous sommes liés à tous les
hommes et toutes les femmes de notre temps et de tous les temps par le lien de
la condition humaine…
Si nous
n’avons pas choisi ces liens, nous aurons tendance à les subir.
Mais si, au lieu de les subir, nous décidons de les choisir, d’en
prendre soin, alors tout peut changer… alors, la « reliance » prend
le nom de « solidarité » et nous entrons peut-être dans cette parole
de Jésus : « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le
ciel ».
Lui, Jésus,
il n’a pas subi, il a choisi consciemment de se lier à notre
condition humaine : par le mystère de son incarnation. Il s’est fait
totalement « solidaire ». Et que signifie cette solidarité,
concrètement, pour nous ? C’est ce qu’il tente de nous dire dans la parole
d’aujourd’hui : si vous êtes solidaires, cela signifie que vous êtes responsables
les uns des autres. Si vous prenez conscience des liens qui vous relient, vous
comprendrez que vous n’êtes pas des îles : et cela, pour le meilleur et
pour le pire ! Concrètement, nous le savons s’il y a la famine, la guerre,
la souffrance dans bien des pays du monde, notre indifférence à l’égard de ces
frères et sœurs en humanité finira par nous rattraper. Mais plus près de chez
nous, dans nos propres familles et communautés de vie, nous savons que
« quand un membre souffre, tous les membres souffrent ; quand un
membre est à l’honneur, tous se réjouissent ».
Les
lectures parlent de cette coresponsabilité. Saint Paul évoque le commandement
de l’amour comme celui qui résume tous les autres, celui envers lequel nous ne
serons jamais quittes. Ezéchiel évoque le devoir de prophétie et
d’avertissement que nous avons tous à exercer les uns envers les autres :
« si tu n’avertis pas le méchant, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite
mauvaise, il mourra, mais toi, tu auras à répondre de son sang ». C’est
redoutable ! Le discernement par rapport au bien et au mal s’exerce en
communauté. L’évangile nous offre donc un passage de ce qu’on appelle, dans
saint Matthieu, le « discours sur l’Église ». C’est peut-être aussi
pour nous l’occasion de réfléchir à nos liens par rapport à l’Église. Nous
sentons-nous reliés les uns aux autres par le fait que nous professons la même
foi ? Et comment exprimons-nous ce lien ? Par le pouvoir de pardonner ?
Il sera
encore question de pardon dimanche prochain (permettez-moi de faire déjà ce
« lien »), mais retenons en tout cas pour aujourd’hui cette parole
encourageante du Seigneur : il suffit déjà de deux ou trois pour que le
lien fonctionne : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je
suis là, au milieu d’eux ». Alors, prenons cette clé, cliquons sur ce
lien, et la porte du Royaume des cieux s’ouvrira.
Sr Marie-Raphaël
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