(partage
sur la liturgie du mercredi des Cendres: (Joël 2,12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2
; Mt 6,1-6.16-18)
Nous avons
donc quitté le temps ordinaire pour entrer en Carême. Saint Benoît nous dit qu’en
tout temps, notre vie devrait être aussi observante qu’en Carême[1]. Alors rassurez-vous, ne nous plaignez
pas, car Benoît présente aussi vite le carême non comme un temps de peine, mais
comme l’attente de Pâque dans la joie du désir spirituel. Une attente
active, durant laquelle il nous invite à réparer toutes les
négligences des autres temps. Négligences... c'est-à-dire ? Je ne vais
pas ici entamer le débat sur l’étymologie des mots religion et négligence, mais
j’aime cette lecture des deux termes en opposition, telle que la propose Michel
Serres[2] : religion, ce qui relie et négligence,
ce qui casse le lien.
Réparer les
négligences, c’est donc recréer le lien...
Entrer en
carême, c’est alors retisser nos relations, avec Dieu et donc forcément avec
les autres, en qui nous pouvons rencontrer le visage de Jésus ressuscité.
La lecture
du livre de Joël nous invite effectivement à revenir au Seigneur, pour qu’il
revienne à nous. Oui, il ne s’impose pas à nous. Il viendra à notre rencontre
si nous l’invitons, si nous ôtons de nos vies tout ce qui s’oppose à sa venue.
Joël nous dit que le Seigneur notre Dieu est tendresse et miséricorde, lent
à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Comment revenir à un
tel Dieu ? Sinon en choisissant de vivre comme lui, au niveau du
cœur : déchirez votre cœur, nous dit le prophète,
c'est-à-dire : permettez lui de vivre, de s’épancher, ne l’enfermez
pas ! Changez votre cœur de pierre en cœur de chair. Qu’il soit vraiment
tout ouverture, amour, tendresse et miséricorde.
Impossible
par nous-même ? Alors nous demandons avec le psaume: Pitié pour moi, Seigneur :
appel à une relation restaurée. Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis mon esprit. Une relation cordiale !
Saint Paul,
nous supplie : laissez-vous réconcilier avec Dieu. C’est bien de
relation qu’il s’agit, se laisser réconcilier avec Dieu.
Et
l’Évangile, comment nous propose-t-il de réparer ce qui serait
négligence ? Il nous presse d’enlever nos masques, nos vanités, nos
glorioles : évitez d’agir pour vous faire remarquer. Tu fais
l’aumône ? Surtout continue, mais que ta main gauche ignore ce que fait
ta main droite. Sois préoccupé de celui à la rencontre de qui tu vas, ne te
regarde pas allant à la rencontre, car alors il n’y a pas rencontre, mais
fermeture sur toi, il n’y a pas reliance, mais déliance,
négligence. Le mot grec qui signifie aumône signifie d’abord et avant
tout : compassion et miséricorde. Il est a rattaché à la compassion même
de Dieu. C’est la même qualité de relation que t’a offerte le Seigneur, que tu
offres à ton tour, à ton frère. Et si la gloire te tente... rappelle-toi, ce
mot aumône traduit l’hébreu tsedâqâ... c'est-à-dire justice !
En faisant l’aumône tu rétablis la justice sur terre, tu rends au pauvre ce qui
lui appartient et qui se trouvait par erreur en ta possession. L’aumône :
une relation nouvelle en lieu et place de la négligence.
Quand tu
pries, ne sois pas comme ceux qui se donnent en spectacle : tu pries, très bien, surtout
continue, mais prie vraiment c'est-à-dire, sois tout attention à Dieu, sois
vraiment religieux et non négligeant.
Tu
jeûnes ? bien ! Mais ne prends pas un air abattu, comme ceux qui
se donnent en spectacle. Pourquoi jeûner ? Ce n’est pas par souci de
ta ligne ou de la performance, ni pour être reconnu comme super ascète. Tu
jeûnes, pour ouvrir en toi le désir, et faire participer tout ton être à ce
désir. Attendre la Pâque dans la joie du désir spirituel proposait
Benoît. Hâter le jour de la rencontre, le jour du salut, par ton désir... alors
parfume-toi la tête ! Tu vas à la rencontre de ton bien-aimé, alors
fais-le accourir : parfume-toi la tête, que le Père en te voyant, respire
en toi la bonne odeur du Christ[3]. Il court à ta rencontre, pour
t’embrasser, et de te revêtir de son salut[4].
Tu vas
maintenant recevoir les cendres, qu’elles disent ton désir de réduire en
poussière tes négligences, pour t’élancer à la rencontre du Seigneur Ressuscité
qui se donne à toi aujourd’hui déjà en cette table eucharistique.
Sr Thérèse-Marie
[2] Voir par exemple : Michel Serres, Statues,
Flammarion, Champs, p. 47. : Le religieux [est] ce qui nous
rassemble ou relie en exigeant de nous une attention collective sans relâche
telle que la première négligence de notre part nous menace de disparition.
(...) Cette définition mélange les deux origines probables du mot religion, la
racine positive de l'acte de relier avec la négative, par l'inverse de
négliger.
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