dimanche 14 août 2011

Faire sauter les frontières

Méditation pour le 20ème dimanche de l'année, A
Isaïe 56, 1.6-7 ;  Ps 66 ; Rom 11, 13-15.29-32; Matth. 15,21-28
 
Que se passe-t-il ? Oui, dites-moi : vous le reconnaissez Jésus ? que se passe-t-il ? N’est-elle pas révoltante cette attitude de Jésus ? A-t-il besoin de se faire ainsi prier pour avoir un peu de considération pour une femme en détresse ?
 
Nous voici plongés en plein mystère d’incarnation ! L’évangile de l’enfance avait noté que Jésus grandissait en âge et en sagesse. L’évangile d’aujourd’hui nous le montre grandissant en la compréhension de sa mission, et ce, grâce à l’intervention vigoureuse d’une femme, païenne de surcroît ! Si vous ne connaissez pas l’origine du dicton : ce que femme veut, Dieu le veut... elle est peut-être dans cette page de l’évangile.
 
Relisons le texte : Jésus s’était retiré dans le territoire de Tyr et de Sidon... Il vient en fait d’essuyer un sérieux conflit avec les gens de sa religion, concernant les questions de pur et d’impur, Jésus a pris résolument parti pour la vie, contre une observance étouffante. Et Jésus s’est retiré loin de ces querelles, dans une terre païenne. Il peut espérer que là, on ne va pas l’ennuyer avec ce genre de tracasseries !
Et voici qu’une femme cananéenne, venue de ces territoires, criait : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »   
Si c’est la paix que Jésus cherchait, c’est raté ! Voici, qu’une femme s’adresse à lui, avec toute la violence de sa détresse.
Mais il ne lui répondit pas une parole. Silence radio !!! Que se passe-t-il ? Est-il à ce point épuisé pour ne pouvoir donner ne fut-ce qu’une parole ? Lui le Verbe, parole de Dieu ? Est-il pris dans la rumination de ce dernier conflit avec ses coreligionnaires qu’il est sourd au monde qui l’environne ? Ses disciples s’approchèrent pour lui demander : « Donne-lui satisfaction car elle nous poursuit de ses cris ! » Ils n’apprécient pas d’être ainsi suivis par cette femme et poursuivis de ses cris ! Imaginez-vous à leur place : vous êtes en chemin, et une femme vous poursuit à grands cris... ne feriez-vous pas tout pour qu’elle arrête, pour qu’elle se taise ! Et ils sont réalistes, à voir la véhémence du cri, ils savent que cette femme ne lâchera pas tant qu’elle n’aura pas été exaucée ! Ce que femme veut...
Et Jésus qui n’a pas répondu à la femme répond à ses disciples : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. »
Que comprenons-nous en ces mots ? Sur quel ton Jésus les prononce-t-il ? J’aurais aimé l’entendre. Est-ce réponse aux disciples ? Jésus serait-il en train de leur partager ce qui fait sa douleur ? Il n’a reçu mission que pour les brebis perdues d’Israël... Remarquez qu’il vient de fuir royalement quelques-unes de ces brebis perdues: ces pharisiens guides aveugles qui trahissent la loi ! Jésus serait-il dans un terrible problème d’obéissance, un cas de conscience ? Il ne fait que la volonté du Père, telle est sa nourriture. Et il a reçu mission pour la maison d’Israël ! Ce n’est déjà pas mal ! Alors doit-il se mêler du territoire d’évangélisation qui ne lui a pas été assigné ? On devine sa prière : « Père, que veux-tu que je fasse ? » Mais le Père n’a pas l’habitude des révélations directes, à coups de trompette et tonnerre. Jésus dans son silence s’est mis à l’écoute de l’Esprit, s’est ouvert à la question. Le simple motif des disciples : qu’elle cesse ses cris, ne lui suffit pas. Il n’y reconnaît pas la voix de l’Esprit. Dans le silence, il écoute, et voilà que le Père se révèle non à travers des propos des disciples, de bons juifs, mais à travers l’insistance de la femme, une païenne...
Elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Autant dire, elle lui barre la route, se rend incontournable. Alors Jésus, enfin prend la parole, et que dit-il ? Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. Cette parole nous choque. Jésus parle dans les catégories de son temps, qui aujourd’hui nous sont insupportables. Cela aussi fait partie de l’incarnation. Jésus s’est fait homme dans un pays, dans une nation précise, à une époque précise! Les païens, de son temps, étaient appelés chiens ! Jésus y ajoute tout de même une note de tendresse, il parle de petits chiens. N’empêche... cette parole fait mal : Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. 
Jésus s’ouvre à la femme de son débat intérieur. Et la femme s’y engouffre : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »   
Et Jésus de reconnaître : Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! Et à l’heure même sa fille fut guérie.
Que s’est-il passé ? Une femme, une païenne, vient de mettre Jésus au monde païen, elle vient de lui faire passer une frontière qu’il hésitait à franchir. Elle a ouvert à sa mission le monde non-juif. Elle a véritablement enfanté Jésus au monde païen, lui faisant prendre conscience de l’universalité de sa mission. Ce franchissement des frontières avait déjà été annoncé par les prophètes, Isaïe en témoignait qui annonçait que le temple allait devenir maison de prière pour tous les peuples. Le psalmiste l’appelait de tous ces vœux : Dieu que les peuples t’acclament, qu’ils t’acclament tous ensemble.  Et si Saint Paul a pu s’ouvrir à la mission auprès des païens, c’est bien parce qu’un jour une femme, une païenne, s’est mise en travers de la route de Jésus, l’a contraint à réaliser cette ouverture. Comme Marie à Cana a hâté l’heure pour le peuple juif, la cananéenne a fait advenir l’heure pour les nations.
Aurons-nous cette même audace, de nous ouvrir à l’autre, à l’étranger, de découvrir en son appel, la mission que le Père nous invite à recevoir ! Laisserons-nous l’étranger faire sauter les frontières que nous avons placées en nos cœurs, pour devenir enfin frères et sœurs universels ?
Sainte Cananéenne, priez pour nous !
 
  Sr Thérèse-Marie
 

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