dimanche 25 mars 2012

Nous voudrions voir Jésus

Méditation pour le 5ème dimanche de Carême, année B
Nous voudrions voir Jésus !  Tel est le désir exprimé par quelques grecs dans l’évangile. Ils ont entendu parler de lui, peut-être ont-il entendu parler du dernier signe accompli par Jésus : la résurrection de Lazare.
Ne sommes-nous pas nous aussi travaillés par ce désir ? Voir Dieu, voir Jésus ! Pouvons-nous le voir ?
Le renard nous dirait, comme il l’a dit au petit Prince : l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur ! Et Dieu expliquera à son prophète Samuel qu’il ne regarde pas avec les yeux, mais avec le cœur !  Le cœur au sens biblique est le lieu de l’intelligence, de la volonté et non uniquement le lieu du sentiment. Le cœur est le centre intime de la personne.
Pouvons-nous regarder avec le cœur ?
Nous avons demandé avec le psalmiste : Donne-nous, Seigneur, un cœur nouveau. Crée en moi un cœur pur.
Le cœur pur, détaché de lui-même, est tout œil ! Le cœur pur, à l’image du cœur de Dieu, garde les yeux fixés sur l’autre sans plus aucun repli sur soi.
Donne-nous Seigneur un cœur nouveau ! Rends-nous la joie d’être sauvé ! Que nous puissions voir Jésus !
Souvent nous espérons par nos efforts obtenir un cœur pur, nous nous y épuisons. Et nous nous décourageons lorsque nous constatons que toujours nous échouons. Jérémie nous montre la voie : c’est Dieu lui-même qui vient convertir nos cœurs. Il vient offrir une alliance nouvelle. Pourvu que nous acceptions de l’accueillir ! Et il semble que le premier article de cette alliance, ne soit autre que l’amour de Dieu qui se manifeste en son pardon. Nous voudrions voir Jésus ? Accueillons cette alliance de pardon !
Oui, Dieu va conclure avec nous une nouvelle alliance et pour cela, il va graver sa loi non plus sur des tables de pierre, mais en nos cœurs. Il va nous donner d’intérioriser sa loi, au point qu’elle habite nos cœurs, éclaire nos décisions et nos choix, au point qu’elle forme en nous l’amour, réponse à l’amour premier de Dieu. Il sera notre Dieu, nous serons son peuple. Jésus en son discours d’adieu dira : si quelqu’un garde ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. La loi nouvelle, inscrite en nos cœurs, n’est autre que la présence, la vie de la Trinité, en nous ! Cette présence ne va-t-elle pas transfigurer mon regard, transfigurer ma vie ?
Et alors, quel Jésus se donne à contempler ?
La lettre aux Hébreux, nous parle de l’agonie de Jésus, de son combat, pour demeurer fidèle à sa mission jusqu’au bout, quelle qu’en soit la difficulté. Elle nous invite à reconnaître en ce chemin de Jésus, la voie de l’amour.
Elle nous le présente, partageant notre condition humaine, assumant la souffrance, par désir de vivre selon la loi d’amour gravée en son cœur ! par fidélité à l’alliance nouvelle. Ne faut-il pas un cœur nouveau, pour comprendre ce mystère pascal que nous sommes invités à revivre au long des jours qui viennent ?
Hérode voulait voir Jésus, pour le plaisir de le voir accomplir quelques miracles... il cherchait du spectacle. Il n’a pas regardé avec les yeux du cœur, il n’a vu qu’un homme bafoué, livré à la dérision, crucifié.
Nous voulons voir Jésus ? Contemplons-le avec le cœur ! Découvrons dans le grain de blé qui meurt, l’annonce d’une vie nouvelle. Contemplons Jésus, crucifié et ressuscité, élevé sur la croix, et élevé dans la gloire du Père tout à la fois.
Tu veux voir Jésus ?
Laisse le Père graver en ton cœur sa loi nouvelle, Il est amour et pardon,
Accompagne le Fils en son chemin pascal, il est don de soi sans compter,
Partage sa souffrance et sa mort, non par dolorisme, mais avec lui par amour, par fidélité au Royaume et communion à l’humanité entière,
Laisse l’Esprit transfigurer ta mort en vie,
Alors tu verras Jésus.
Tu le verras élevé de terre, en un acte d’amour qui t’enveloppe et t’entraîne.
Tu le verras, comme un appel à marcher avec lui, toujours.
Tu le verras, en celui qui te tend la main, et en appelle à ton amour ! à ta compassion.
Tu le verras pain rompu pour la vie du monde, et tu deviendras ce que tu reçois, corps du Christ pour la vie de tes frères et sœurs en humanité.
Lève les yeux, regarde : c’est le crucifié ressuscité qui aujourd’hui s’offre à toi. 
Sr Thérèse-Marie

mercredi 21 mars 2012

Ouvre notre coeur

Méditation pour la fête de st Benoît
Seigneur ouvre notre cœur, pour qu’il recherche avec amour, les paroles de ton Fils.
Voilà l’acclamation que nous venons de chanter ! Elle me semble vraiment bien dire la fête de ce jour. N’est-ce pas l’invitation que st Benoît ne cesse de nous lancer ?
 
Seigneur, premier mot, comme pour nous dire vers qui tendre nos regards, nos cœurs et nos vies !
Seigneur, il y a toute la révérence de l’amour dans ce titre que nous donnons à notre Dieu ! Il y a la solennité de l’amour, qui traverse le quotidien le plus banal et le plus dérisoire.
 
Ouvre notre cœur, tout la vie bénédictine à la suite de Benoit, n’est elle pas un long chemin de conversion depuis le cœur fermé, dur, aride, vers le cœur dilaté, dans la joie du désir spirituel.
Benoît chaque matin nous invite à prier le psaume 94 pour ouvrir la journée, sur ces mots, venez criez de joie pour le Seigneur,... aujourd’hui si vous entendez sa voix, ne fermez pas votre cœur.
Et le prologue de la règle de Benoît invite dans le même sens : Ecoute, mon fils, incline l’oreille de ton cœur...
Souvent nous confondons le cœur avec la sensibilité, l’émotivité. Le cœur profond est à découvrir, ses voies sont à désensabler. Il faut toute une vie pour rejoindre son cœur, en toute vérité, en toute ouverture. Le cœur profond, c’est le lieu secret en nous, où Dieu a choisi de faire sa demeure, et où il nous invite à le rejoindre. C’est le lieu de notre volonté, de notre résolution à marcher avec Dieu.
 
Ouvrir son cœur, nous le savons ce n’est pas évident, passer du cœur de pierre au cœur de chair, c’est accepter de quitter la terre de nos sécurités, pour vivre la vulnérabilité de l’amour. Abraham sur l’invitation du Seigneur a ainsi quitté ses attaches familiales, sociales, pour devenir pèlerin sur cette terre.
Toute sa vie suite à cet appel, il s’est retrouvé comme errant, sans jamais posséder de terre, si ce n’est l’espace d’un tombeau pour y enterrer son épouse ! La terre que Dieu lui avait promise, n’était point un périmètre tracé sur une carte, sur laquelle il puisse mettre la main, se l’approprier « ma terre »... non, la terre promise par Dieu était la terre nouvelle, le monde nouveau, dont la porte d’entrée est le cœur !  
 
Seigneur, ouvre notre cœur, pour qu’il recherche avec amour les paroles de ton Fils
Abraham est parti sur invitation de Dieu. A nous il est demandé jour après jour de vivre de la Parole de Dieu, de nous laisser buriner par elle, d’où l’importance de la lectio, de la lecture priante de la Bible en vie monastique.
 
Rechercher avec amour les paroles du Fils de Dieu. Invitation à fixer notre attention sur Dieu en passant par les paroles du Fils. Nous sommes invitées à une véritable démarche d’incarnation de notre foi.
Chercher Dieu, c’est bien l’invitation de Benoît, comment le ferons-nous, si ce n’est justement comme y a invité ce verset d’acclamation : en recherchant avec amour les paroles du Fils. La Bible, lue, méditée, priée en lectio, doit être comme la fenêtre qui nous permet de poser le regard sur Dieu dans le quotidien, qui nous permet de le reconnaître dans nos rencontres, dans nos travaux, dans nos silences aussi. De le reconnaître dans notre vie communautaire.
La Bible doit faire de nous des familiers de Dieu, des êtres qui dans le visage du pauvre et du petit reconnaissent sans hésiter : c’est le Seigneur !
 
Ce verset d’acclamation que nous venons de méditer ainsi, ouvrait à la lecture de la prière de Jésus : Père qu’ils soient un.
Notre fréquentation de la Parole doit nous mener à cette unité. Dans cette unité est rendue présente la Trinité.
L’unité n’est pas notre œuvre, mais l’œuvre de Dieu en nous, la présence agissante de l’Esprit. Et elle reste toujours une tâche à accomplir, pour toute communauté comme pour toute personne.
En laissant notre cœur s’ouvrir à la Parole de Dieu, nous laisserons nos cœurs s’unir en la communion qui n’est autre que l’amour de Dieu.
Célébrons donc cette communion !
Belle fête !
Sr Thérèse-Marie 

lundi 19 mars 2012

Ta maison sera la sienne

Saint Joseph, 19 mars.
 
La première lecture et le psaume nous le rappellent : si Jésus a pu être dit « fils de David », c’est bien par Joseph. « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils ». Cette parole que Dieu dit au sujet du fils de David, Joseph a pu se l’approprier au sujet du Fils de Dieu. De même que Dieu a « adopté », par l’alliance, le fils de David, de même Joseph est invité à adopter le Fils de Dieu.
 
Tout père doit « adopter » ses propres enfants. Pour la mère qui enfante, la question ne se pose pas de la même façon. Mais un jeune papa qui accueille son nouveau-né doit le reconnaître comme sien, doit l’adopter comme sien pour en devenir vraiment le père. Parfois, ce processus intime prend beaucoup de temps.
 
Dieu demande à Joseph d’adopter son propre fils. « Ta maison sera la sienne... sa clarté sera la tienne... ».
J’imagine que cela a dû demander de Joseph une très grande confiance, une très grande humilité. Mais j’imagine aussi qu’il l’a fait « tout simplement », sans emphase et sans réticence, dans l’évidence de l’amour qu’il vouait à Marie et à son enfant. Et quelle émotion, sans doute, le jour où Jésus, apprenant à parler, lui a dit : « abba ? »
 
Comme Abraham, il a entendu un appel et il a obéi, il a pris le chemin de la foi, vers un pays qu’il ne connaissait pas, mais avec la certitude que Dieu le guidait.
Comme Abraham, il a dû « offrir » ce fils unique et bien-aimé, après une longue angoisse de trois jours et trois nuits (cf. l’évangile de Luc) : il a dû comprendre, ce jour-là, que son fils adoptif ne lui appartenait pas, qu’un autre « Père » le requérait. Comme tout père, un jour, est amené à faire confiance à son fils, ce jour-là, il a peut-être compris qu’il devait « avoir foi » en son fils.
 
Quel merveilleux échange !
Et cela nous concerne aussi, puisque saint Paul dit quelque part que nous sommes les « enfants adoptifs » du Père et que, comme Jésus, nous pouvons lui dire « abba ! ».
 
Par la prière de saint Joseph, demandons à Dieu notre Père de nous introduire plus avant dans ce beau mystère.
 
 
Sr Marie-Raphaël

dimanche 18 mars 2012

Dieu a tant aimé le monde

4e dimanche de Carême : Année B (2012)
  « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle »
 En ce jour, en ce 4e dimanche de Carême, notre Dieu nous confie son rêve, ce rêve qu’il a exprimé à travers toute l’histoire de son peuple… et qu’il reformule pour nous aujourd’hui.
Revisitons-en les différentes facettes.
 Dans l’extrait du livre des Chroniques, nous nous situons à une époque charnière, celle de la fin de l’exil.
Le peuple, que Dieu libéra du joug égyptien, reçut ce merveilleux cadeau qu’est celui de la liberté :
Liberté de suivre son Dieu sauveur, mais aussi liberté d’y préférer l’idolâtrie, les « pratiques sacrilèges des nations païennes », l’infidélité.
Face à une infidélité grandissante, face au refus de son peuple, Dieu envoie messagers et prophètes… en vain.
Tel est bien le choix du peuple que nous rapporte la première lecture : refus de Dieu, mépris de ses envoyés, moqueries des prophètes.
Dieu ne peut forcer la liberté de l’homme…
S’ensuit l’exil à Babylone : les pleurs du peuple loin de son Dieu, les chansons réduites au silence, le regret de Sion, c’est-à-dire de Jérusalem.
Le chant du psaume-graduel en a reflété toute la nostalgie…
Mais 70 ans plus tard, Dieu concède une nouvelle chance à son peuple.
Il suscite Cyrus, roi de Perse, qui favorise le retour du peuple en Israël.
C’est une des facettes du rêve de notre Dieu : être avec son peuple.
Cyrus s’en fait l’interprète : « Tous ceux d’entre vous qui font partie de son peuple, que le Seigneur leur Dieu soit avec eux… »
 Tel est aussi le message que Paul adresse à l’Eglise d’Ephèse :
« Il nous a fait revivre avec le Christ : c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu… »
Dans ce don se laisse deviner un choix, une proposition :
« c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi… »
Cette nouvelle vie, ce salut, cette foi qui est proposée, nous pouvons l’accepter ou la refuser.
« La richesse infinie de sa grâce », dont parle Paul, ne s’impose pas : elle s’accueille...
 Et l’Evangile de ce jour fait écho à cette Bonne Nouvelle.
Il est question de jugement, de vie éternelle… et d’amour :
« Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé »
Dans son Evangile, Jean proclame la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui aime, d’un Dieu amoureux, qui a créé par amour et ne cesse de susciter le monde par son Esprit d’amour.
 « pour que le monde soit sauvé » : tel est le rêve de Dieu, selon les mots du quatrième évangile.
Offrir le salut, c’est-à-dire la vie et le bonheur.
Mais pourquoi Jean parle-t-il de « jugement », vous demanderez-vous peut-être ?
Il y a jugement quand il y a liberté !
« Celui qui croit en lui échappe au jugement, dit Jésus, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu »
Cette liberté qui s’offre à l’homme, c’est celle de la foi au Christ.
 En ce jour, chers frères et sœurs, une invitation nous est lancée !
Nous sommes conviés à consentir au saut de la foi, au saut de la confiance.
 Oserons-nous croire dans ce rêve que Dieu nous partage aujourd’hui ?
Pourrons-nous réaliser combien il désire être avec nous, partager nos joies et peines, nous combler de son amour ?
Consentirons-nous à accueillir son salut ?
Accepterons-nous de recevoir la Lumière de Dieu et renoncer à nos ténèbres ? Ténèbres de nos maux, de nos blessures et de nos échecs, qui empêchent d’entendre la Bonne Nouvelle…
 Oui, aujourd’hui, Dieu vient à notre rencontre et questionne notre liberté !
En ce 4e dimanche de Carême, Pâques se devine déjà à l’horizon…
Avant de fêter la gloire du Ressuscité, il nous est bon d’accueillir sa Lumière dans toutes les fibres de notre être, jusqu’à nos côtés les plus obscurs…
Alors, pleins de sa Joie, nous pourrons recevoir du Ressuscité lui-même ce cadeau qu’il rêve de nous offrir : la vie.
 
Sr Marie-Jean

dimanche 11 mars 2012

Croire


Méditation pour le 3ème dimanche du Carême B 
 
« Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? »
Cette question revient souvent dans les évangiles. Les prêtres, les Pharisiens, demandent à Jésus de donner des signes pour justifier ses gestes, ses paroles. Mais quels signes voudraient-ils voir ? Souvent, on a l’impression que le signe « crève les yeux » et qu’ils regardent juste à côté. « Les Juifs réclament les signes du Messie », écrit saint Paul.
 
Dans l’évangile de Jean, Jésus ne fait pas de miracles, mais des signes. Ce mot indique que l’important n’est pas le côté merveilleux, miraculeux, extra-ordinaire des gestes qu’il pose (pourtant, ce n’est pas rien de changer l’eau en vin, de multiplier les pains, de rendre la vue à un aveugle, la vie à un mort). Mais ce mot indique que l’important est de chercher derrière la matérialité des signes ce qu’ils « signifient », précisément. Jésus opère des signes, et, ce faisant, Jésus « fait signe » de quelque chose. Par le miracle de Cana, il signifie qu’il est l’époux de la nouvelle Alliance. En multipliant les pains, il veut faire comprendre qu’il est le vrai pain venu du ciel. En guérissant l’aveugle-né, il dit « je suis la lumière », avant de ressusciter Lazare, il dit « Je suis la vie ». Et chaque fois, le signe et la parole qui l’accompagne invitent les témoins de la scène à croire en lui.
 
Revenons à nos moutons... ou plutôt à nos brebis, nos bœufs et nos colombes. La fête de la Pâque approchait et chacun devait monter à Jérusalem pour offrir un sacrifice à Dieu. Cela représentait beaucoup de monde à la fois, beaucoup de sacrifices d’animaux. Il existait le long du Cédron ou sur le Mont des Oliviers un marché d’animaux pour les sacrifices, organisé par le Sanhédrin. Mais Caïphe, pour leur faire concurrence, aurait ouvert un marché sur le parvis du Temple lui-même. Jésus s’insurge contre cette profanation. Sa réaction peut faire penser à celle de certains prophètes : il pose un geste fort, il provoque, pour susciter une réaction, une interrogation, et donner ensuite une parole d’interprétation (dans l’AT, on voit des prophètes comme Elie, Isaïe, Jérémie ou Ezéchiel agir ainsi). Mais Jésus va plus loin. Son geste est plus que le geste d’un prophète. On dirait qu’il est personnellement blessé, personnellement humilié et souillé par ce qui se passe là dans le Temple, par le trafic de bêtes et le roulement de la monnaie. C’est ce qui transparaît d’ailleurs dans ce qu’il dit : il ne dit pas : « ne faites pas de la maison de Dieu une maison de trafic », mais il dit : « ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ». En disant cela, en appelant Dieu « son Père », il révèle quelque chose de sa relation particulière à Dieu et on comprend qu’il se sente personnellement touché par ce qui se passe là. À La profanation du Temple par les grands prêtres « trafiquants », il répond par une parole qui peut sembler « blasphématoire ». Il sait peut-être déjà qu’il le paiera de sa vie. L’évangéliste met sa parole en lien avec cette parole du psaume qui dit : « l’amour de ta maison fera mon tourment ». Oui, l’amour de Jésus pour son Père, « l’amour jaloux » (le « zèle ») de Jésus pour la maison de son Père, pour les prérogatives de Dieu, fait son tourment, ne le laisse pas tranquille, le mènera peut-être à sa perte...
 
C’est alors que les Juifs l’interpellent : « quel signe peux-tu nous montrer pour justifier ce que tu fais là ? ». « Les Juifs réclament les signes du Messie », écrira saint Paul. « Et les Grecs recherchent une sagesse. Nous sommes tous un peu Juifs et un peu Grecs sur les bords. Pour croire en Dieu, nous voulons voir des signes de sa puissance, de sa grandeur, peut-être même de sa capacité à se mettre en colère (entendons bien : en colère contre les forces du mal, pas contre nous). Et nous voulons bien croire en Dieu s’il nous propose une sagesse de vie qui nous épanouit, nous donne un équilibre de vie, une paix intérieure, une harmonie avec les autres. Mais Paul nous prévient : la sagesse que Dieu propose est folie aux yeux du monde. La puissance que Dieu propose est choquante de faiblesse, complètement déroutante. La colère de Dieu, Jésus nous la donne à voir aujourd’hui dans cet amour jaloux qui le brûle et l’expose à la cruelle vengeance de ceux qu’il ose remettre en question. « Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs... » Sommes-nous prêts à accueillir ce Messie-là ? cette folie ? ce scandale ?
 
« Quel signe peux-tu nous montrer pour justifier ce que tu fais là ? » Jésus leur répond : « détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai ». Parole qu’ils ne comprennent pas, évidemment. Comment Jésus pourrait-il relever en trois jours un temple qu’il a fallu 46 ans pour construire ? Ils ne parlent pas du même temple. Le vrai temple, le sanctuaire de la présence de Dieu parmi les hommes, c’est l’homme Jésus. La parole que Jésus dit ici ne peut se comprendre qu’à posteriori, après les trois jours de la Passion, après la résurrection. Le « signe » que Jésus donne aujourd’hui est celui de sa propre Pâque. Pour le comprendre, il faudra que les disciples fassent le lien, après coup, entre les écritures et l’expérience pascale.
 
Et nous ? En ce 3ème dimanche de carême, dans notre montée vers Pâques, nous sommes invités, nous aussi, à croire en Jésus. Mais pas n’importe comment. L’évangile dit : « beaucoup crurent en lui à la vue des signes qu’il accomplissait », mais lui, Jésus, n’avait pas confiance en eux. Littéralement : « lui, Jésus, ne croyait pas en eux » : c’est le même verbe, dans les deux sens. Comme si la foi demandait réciprocité. Je crois en Dieu et Dieu croit en moi. Je lui fais confiance et il me fait confiance. Dieu peut-il me faire confiance ? Quel signe vais-je lui montrer pour qu’il croie en moi ? Un signe de sagesse et de puissance ou un signe de faiblesse et de folie ? Jésus connaît ce qu’il y a dans l’homme, dit l’évangéliste. Il n’a pas besoin de nos signes extérieurs : il nous demande une foi-confiance qui va jusqu’à la folie. Commençons donc par lui faire confiance, en mettant nos pas dans les siens sur le chemin qui nous conduit à Pâques.
Sr Marie-Raphaël 

dimanche 4 mars 2012

Quel Dieu?



Méditation pour le deuxième dimanche de Carême (année B)
Je marcherai en présence de Dieu, sur la terre des vivants !  
C’est bien ce que nous venons de chanter avec le psalmiste ! Mais cela ne vous pose pas question... en présence de quel Dieu sommes-nous décidés à marcher ? Quelle est cette terre des vivants ?
Un Dieu qui ne nous a pas refusé son Fils nous répond st Paul. Un Dieu du don total, absolu, sans réserve ! Et une terre de vie : Jésus est mort, plus encore il est ressuscité, continue st Paul en n’arrêtant pas son regard pour cette vie seulement mais sur l’éternité que Jésus partage avec son Père, d’où il intercède pour nous.  Il est assis à la droite de Dieu, précise st Paul, c'est à dire que Jésus est à pied d’égalité avec lui. Et nous, où est-on dans tout cela ? Dieu sera pour nous, atteste st Paul... Bon ! Et ça veut dire quoi ?  
C’est là qu’il nous faut sans doute revenir au texte de la Genèse qui ouvrait la liturgie de la Parole. Et je reconnais volontiers que là, nous sommes en droit de nous poser quelques questions... A première écoute, j’entends un Dieu qui, pour éprouver Abraham, n’hésite pas à lui réclamer en sacrifice son enfant unique !!! L’enfant promis par Dieu ! Alors quel Dieu ? Souhaitons-nous marcher en présence d’un tel Dieu ? On a quand même envie de mettre quelques réserves, non ? Mais… Bien sûr qu'il y a un "mais…", que devient notre regard sur Dieu si nous scrutons le texte plus à fond ! Tout d’abord, il faut bien accepter que la liturgie ne sait pas nous offrir un texte en son intégralité, sous peine d’être bien plus longue... donc, nous avons ici, un petit morceau, quelques versets choisis au sein d’un récit... il faudra peut-être prendre le temps cette semaine, pour aller relire l'ensemble du cycle d’Abraham (prenez la Genèse chapitre 12, ou déjà fin chapitre 11 pour écouter la généalogie dans laquelle Abraham s’inscrit). Aujourd’hui, le texte commence par Dieu mit Abraham à l’épreuve... Il lui dit : « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac »... Il n’y a pas à hésiter. Dieu sait exactement la situation. Abraham a un fils, unique, bien-aimé qui porte le nom d’Isaac. Et Dieu continue : va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que je t’indiquerai. Bon, vous êtes toujours d’accord de marcher avec ce Dieu ? est-ce vraiment sur la terre des vivants qu’il entraîne Abraham ???
Alors il faut creuser. Il faut tenter de comprendre. André Wénin, bibliste de renom s'il en est, nous met une première chose en évidence : la traduction liturgique a simplifié le texte hébreu. Il faudrait écrire nous dit-il : Prends ton fils, ton unique... et fais-le monter là pour un holocauste. Rien dans la demande ne dit qu’il s’agit de sacrifier Isaac. Mais comme le souligne André Wénin, la demande est ambiguë, et dans une société où les sacrifices des premiers-nés sont encore, sinon pratiques courantes, au moins dans l’air du temps, Abraham a dû réfléchir pour comprendre la demande de Dieu. S’agissait-il de monter offrir son fils en holocauste, ou s’agissait-il d’aller avec son fils, offrir un holocauste ? Ce qui, vous en conviendrez, n'est pas vraiment la même chose !  
Le texte ensuite trace de façon très poignante la manière dont père et fils gravissent la montagne, et on devine toute l’angoisse d’Abraham, qui doit se demander, si vraiment Dieu veut son fils...
Et puis vient le dénouement que nous avons entendu... lorsqu’Abraham élève le couteau pour offrir son fils, lorsqu’il est prêt à offrir à Dieu ce qu’il a de plus cher, Dieu l’arrête ! Non, n’immole pas l’enfant !
Alors quel Dieu ? Un Dieu qui refuse le sacrifice d’un être humain ! Un Dieu qui veut des êtres libres : Abraham doit abandonner ce pouvoir de vie et de mort qu’il avait sur son fils, le délier et le laisser aller. Et effectivement si vous regardez la suite du texte, vous le verrez descendre la montagne seul... son fils est allé son chemin...
Quel Dieu ? un Dieu dont Abraham devient peu à peu l’image : un Père aimant, qui ne retient pas son fils ! Qui le laisse libre de tracer son chemin...
 
Dans l’évangile, Jésus partage avec quelques disciples un moment privilégié de sa communion en Dieu. Il est en prière sur la montagne, lieu de la rencontre avec son Père, et il en est transfiguré. Jésus partage ainsi à ses proches ce qu’il a de plus cher, et qui lui donne la force d’affronter son destin : sa communion au Père. Et lorsque Pierre a bien envie de s’arrêter là, sur la montagne de lumière, Jésus l’invite à partager le chemin qui est le sien... Cette communion au Père, il faut la vivre dans le quotidien de son existence, dans la fidélité à sa mission. Il faut redescendre pour marcher jusqu’à la Pâque, porte vers la terre des vivants.
 
Aujourd’hui, notre Dieu, ami des hommes se fait connaître :
Par Abraham, sur le mont Moriah, il a révélé le vrai visage du Père qui aime et veut la vie.
Par Jésus transfiguré sur la montagne, il révèle le visage du Dieu qui est communion d’amour et de lumière.
Par st Paul, méditant sur le mont Golgotha, il révèle le visage d’un Dieu qui nous a tout donné en nous donnant son fils, d’un Dieu qui nous offre sa terre d’éternité en partage.
 
Et par nous, aujourd’hui, quel visage sera révélé ?
 
Sr Thérèse-Marie