Méditation
pour le 20ème dimanche de l'année, A
Isaïe 56, 1.6-7 ; Ps 66 ; Rom 11,
13-15.29-32; Matth. 15,21-28
Que se
passe-t-il ? Oui, dites-moi : vous le reconnaissez Jésus ? que
se passe-t-il ? N’est-elle pas révoltante cette attitude de Jésus ?
A-t-il besoin de se faire ainsi prier pour avoir un peu de considération pour
une femme en détresse ?
Nous voici
plongés en plein mystère d’incarnation ! L’évangile de l’enfance avait
noté que Jésus grandissait en âge et en sagesse. L’évangile d’aujourd’hui nous
le montre grandissant en la compréhension de sa mission, et ce, grâce à
l’intervention vigoureuse d’une femme, païenne de surcroît ! Si vous ne
connaissez pas l’origine du dicton : ce que femme veut, Dieu le veut...
elle est peut-être dans cette page de l’évangile.
Relisons le
texte : Jésus s’était retiré dans le
territoire de Tyr et de Sidon... Il vient en fait d’essuyer un sérieux
conflit avec les gens de sa religion, concernant les questions de pur et
d’impur, Jésus a pris résolument parti pour la vie, contre une observance
étouffante. Et Jésus s’est retiré loin de ces querelles, dans une terre
païenne. Il peut espérer que là, on ne va pas l’ennuyer avec ce genre de
tracasseries !
Et voici qu’une femme cananéenne, venue de ces
territoires, criait : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de
David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »
Si c’est la paix que Jésus cherchait, c’est raté !
Voici, qu’une femme s’adresse à lui, avec toute la violence de sa détresse.
Mais il ne lui répondit pas une parole. Silence
radio !!! Que se passe-t-il ? Est-il à ce point épuisé pour ne
pouvoir donner ne fut-ce qu’une parole ? Lui le Verbe, parole de
Dieu ? Est-il pris dans la rumination de ce dernier conflit avec ses
coreligionnaires qu’il est sourd au monde qui l’environne ? Ses
disciples s’approchèrent pour lui demander : « Donne-lui satisfaction
car elle nous poursuit de ses cris ! » Ils n’apprécient pas
d’être ainsi suivis par cette femme et poursuivis de ses cris !
Imaginez-vous à leur place : vous êtes en chemin, et une femme vous
poursuit à grands cris... ne feriez-vous pas tout pour qu’elle arrête, pour
qu’elle se taise ! Et ils sont réalistes, à voir la véhémence du cri, ils
savent que cette femme ne lâchera pas tant qu’elle n’aura pas été
exaucée ! Ce que femme veut...
Et Jésus
qui n’a pas répondu à la femme répond à ses disciples : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la
maison d’Israël. »
Que comprenons-nous en ces mots ? Sur quel ton Jésus
les prononce-t-il ? J’aurais aimé l’entendre. Est-ce réponse aux disciples ?
Jésus serait-il en train de leur partager ce qui fait sa douleur ? Il n’a
reçu mission que pour les brebis perdues d’Israël... Remarquez qu’il vient de
fuir royalement quelques-unes de ces brebis perdues: ces pharisiens guides
aveugles qui trahissent la loi ! Jésus serait-il dans un terrible problème
d’obéissance, un cas de conscience ? Il ne fait que la volonté du Père,
telle est sa nourriture. Et il a reçu mission pour la maison d’Israël ! Ce
n’est déjà pas mal ! Alors doit-il se mêler du territoire d’évangélisation
qui ne lui a pas été assigné ? On devine sa prière : « Père, que
veux-tu que je fasse ? » Mais le Père n’a pas l’habitude des
révélations directes, à coups de trompette et tonnerre. Jésus dans son silence
s’est mis à l’écoute de l’Esprit, s’est ouvert à la question. Le simple motif
des disciples : qu’elle cesse ses cris, ne lui suffit pas. Il n’y
reconnaît pas la voix de l’Esprit. Dans le silence, il écoute, et voilà que le
Père se révèle non à travers des propos des disciples, de bons juifs, mais à
travers l’insistance de la femme, une païenne...
Elle vint se prosterner devant lui en disant :
« Seigneur, viens à mon secours ! » Autant dire, elle lui
barre la route, se rend incontournable. Alors Jésus, enfin prend la parole, et
que dit-il ? Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de
le jeter aux petits chiens. Cette parole nous choque. Jésus parle dans
les catégories de son temps, qui aujourd’hui nous sont insupportables. Cela
aussi fait partie de l’incarnation. Jésus s’est fait homme dans un pays, dans
une nation précise, à une époque précise! Les païens, de son temps, étaient
appelés chiens ! Jésus y ajoute tout de même une note de tendresse, il
parle de petits chiens. N’empêche... cette parole fait mal : Il n’est
pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens.
Jésus s’ouvre à la femme de son débat intérieur. Et la femme
s’y engouffre : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits
chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »
Et Jésus de reconnaître : Femme, ta foi est grande,
que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! Et à l’heure même sa fille
fut guérie.
Que s’est-il passé ? Une femme, une païenne, vient de
mettre Jésus au monde païen, elle vient de lui faire passer une frontière qu’il
hésitait à franchir. Elle a ouvert à sa mission le monde non-juif. Elle a
véritablement enfanté Jésus au monde païen, lui faisant prendre conscience de
l’universalité de sa mission. Ce franchissement des frontières avait déjà été
annoncé par les prophètes, Isaïe en témoignait qui annonçait que le temple
allait devenir maison de prière pour tous les peuples. Le psalmiste
l’appelait de tous ces vœux : Dieu que les peuples t’acclament, qu’ils
t’acclament tous ensemble. Et si Saint Paul a pu s’ouvrir à la
mission auprès des païens, c’est bien parce qu’un jour une femme, une païenne,
s’est mise en travers de la route de Jésus, l’a contraint à réaliser cette
ouverture. Comme Marie à Cana a hâté l’heure pour le peuple juif, la cananéenne
a fait advenir l’heure pour les nations.
Aurons-nous cette même audace, de nous ouvrir à l’autre, à
l’étranger, de découvrir en son appel, la mission que le Père nous invite à
recevoir ! Laisserons-nous l’étranger faire sauter les frontières que nous
avons placées en nos cœurs, pour devenir enfin frères et sœurs
universels ?
Sainte Cananéenne, priez pour nous !
Sr Thérèse-Marie
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