dimanche 10 juin 2012

Alliance



Méditation pour le 10 juin 2012 : Saint-Sacrement, année B
 
Le mot qui revient dans les trois lectures d’aujourd’hui : le mot « Alliance » ; et aussi le mot « sang ».
 
L’Alliance : ce mode de relation tout à fait particulier qui caractérise la relation entre le Dieu d’Israël et son peuple, dans l’AT, et qui se prolonge dans le NT, mais de façon tout à fait nouvelle.
 
Dans l’AT, il est déjà question de l’Alliance avec Noé, puis avec Abraham. Et avec Moïse, comme nous le voyons aujourd’hui. Alliance signifie réciprocité, engagement réciproque. C’est un engagement dans la durée, dans la fidélité, qui touche tous les aspects de la vie. Dans la 1ère lecture, nous voyons comment le peuple de Dieu entre dans cette Alliance et marque ce passage par une cérémonie solennelle. La réciprocité se noue dans le don de la Loi : Dieu a donné la Loi à Moïse, Moïse la transmet au peuple. Le peuple répond par un serment : « tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique ». Pour sceller symboliquement cet engagement, Moïse fait offrir un sacrifice de paix : deux jeunes taureaux sont immolés. Leur sang est répandu en partie sur le peuple, en partie sur l’autel.
 
Le mot « sacrifice » n’a pas bonne presse aujourd’hui. Parce qu’on l’associe au fait de tuer et on ne voit pas comment tuer, verser la sang, pourrait plaire à Dieu.
Le sang est symbole de vie, non de mort.
Dans l’Alliance du Sinaï, le rite du sang veut dire combien Dieu s’engage vis-à-vis de nous « à la vie, à la mort ». Si le même sang est répandu sur les deux partenaires de l’Alliance, c’est un peu pour signifier que désormais la même vie coule dans leurs veines.
Retenons surtout la parole de Moïse : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. »
 
Sur fond de ce contexte, nous comprenons mieux la force symbolique des paroles de Jésus dans l’évangile. Lors de la dernière Cène, il prend le pain, prononce la bénédiction, le rompt et le donne en disant : « Prenez, ceci est mon corps ». Et pour la coupe, il dit : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance... » (on entend l’écho aux paroles de Moïse) et il ajoute : « répandu pour la multitude ».
 
Le sang qui coule dans les veines de Jésus, c’est le sang de l’homme Jésus, qui est aussi Dieu. En lui-même, en sa personne, le sang de l’Alliance circule en Dieu et en l’Homme. L’Alliance se réalise pleinement dans cet Homme-Dieu qui se tient là, au milieu de ses disciples, et partage avec eux le repas pascal.
 
Mais, pourrions-nous dire, cela ne suffit-il pas ? Pourquoi faut-il que le lendemain, sur la Croix, son précieux sang soit répandu en pur gâchis ? à vue humaine, en effet, la mort de Jésus est absurde, échec total, pur gâchis. À vue humaine, la mort de Jésus n’est pas un sacrifice au sens rituel du mot, mais un assassinat. Il est livré et tué par des hommes qui voient en lui un personnage gênant, à éliminer.
 
C’est précisément pour que nous ne restions pas sur ce sentiment d’échec que Jésus a en quelque sorte anticipé sa mort dans le geste rituel du repas pascal. Ses disciples ne pouvaient sans doute pas le comprendre au moment même, mais après, quand ils ont relu les faits à rebours, ils ont compris toute la portée de ces paroles et de ces gestes de Jésus, ils ont trouvé les clés de lecture pour interpréter la mort de Jésus non comme un absurde et douloureux point final, mais comme le geste ultime et le geste par excellence du don de Dieu en Jésus.
 
En consentant jusqu’au bout au dessein d’amour de Dieu pour l’humanité, en poussant jusqu’au bout les conséquences de son don, Jésus savait qu’il allait au-devant de la mort. Il l’a d’ailleurs annoncé plusieurs fois à ses disciples. Alors, puisque c’était inévitable, plutôt que de la subir, il l’a regardée en face et il a dit : « ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Et ce faisant, il inaugurait la nouvelle Alliance.
 
C’est dans le passage de la lettre aux Hébreux qu’on trouve l’expression « ancienne alliance » et « nouvelle alliance ». L’auteur de la lettre aux Hébreux fait une relecture théologique très dense de ce sacrifice du Christ. Car il s’agit bien d’un sacrifice : il donne sa vie ! Il est écrit : « poussé par l’Esprit éternel, Jésus s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache ». Et encore : « il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire du ciel en répandant non pas le sang des animaux, mais son propre sang : il a obtenu ainsi une libération définitive ».
 
La lettre aux Hébreux insiste pour dire que cela s’est passé « une fois pour toutes » et « de façon définitive ». Mais cela ne signifie pas que c’est fini : cela signifie que cela dure pour l’éternité.
 
Or nous, nous vivons dans le temps, et nous avons besoin de marquer le temps qui passe par des rappels de ce qui s’est passé une fois pour toutes. C’est le rôle des rites, de la liturgie. C’est le rôle des sacrements. Le sacrement par excellence, celui qui est la source et le sommet de tous les autres, c’est donc ce sacrement que Jésus donne pour que nous fassions mémoire vivante de son sacrifice total, unique et définitif. Le « Saint-Sacrement ». C’est l’Eucharistie.
 
Eucharistie veut dire « action de grâce ». Dans le psaume, nous avons chanté : « je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce ». Que signifie pour nous « offrir le sacrifice d’action de grâce » ? C’est un peu comme nous retrouver avec les disciples à la table de la dernière Cène, regarder Jésus nous offrir le pain en disant : « ceci est mon corps », puis nous passer la coupe en disant « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour vous et pour la multitude ». Entendre ces paroles et prendre conscience de leur profondeur : si nous acceptons de boire à cette coupe, nous entrons dans l’Alliance, nous acceptons d’être sauvés par ce Dieu qui nous aime infiniment et qui, en s’offrant lui-même, est devenu « le grand prêtre de notre bonheur qui vient ».
 
Alors, oui, il n’y a plus qu’à rendre grâce, intensément, pour un tel amour, et tel est le « sacrifice » que le Père attend de nous : non pas un sacrifice sanglant, mais un consentement à ce bonheur qu’il veut nous donner en nous donnant son Fils.
 
C’est tout cela, l’Eucharistie.
 
Sr Marie-Raphaël

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