Méditation
pour 14ème dimanche du TO, B
Nul n’est prophète
en son pays.
Mais qu’est-ce qu’un
prophète ? La première lecture nous en montre un. C’est le début du livre
d’Ezéchiel : il y évoque sa vocation de prophète à partir de plusieurs
visions. D’abord, la vision grandiose du char de Dieu porté par quatre animaux
fantastiques. Ensuite, il y aura la vision du livre (rouleau écrit au recto et
au verso) que le prophète devra manger. Cette image illustre puissamment
combien le prophète assimile en lui-même (s’identifie à) le message que Dieu
lui confie. Il finit par être lui-même message. Il fait l’expérience d’une
parole qui s’impose à lui, une parole qui l’investit, une parole qui le dépasse
et dont il devient le canal. Il ne peut s’y dérober, même si la tâche est
difficile. Car les paroles qu’il a à dire sont difficiles à entendre. Dans le
contexte de la déportation à Babylone, il doit interpeller vigoureusement le
peuple pour l’appeler à la conversion. Et Dieu l’a prévenu : c’est un
peuple de rebelles, un peuple au visage dur et au cœur obstiné. Dieu demande à
son prophète de parler coûte que coûte, quelle que soit la réponse, l’écoute ou
la non-écoute du peuple. Le prophète n’a pas à se préoccuper de la suite :
il doit parler, même s’il a l’impression de hurler dans le vent, de prêcher dans
le vide. Cela, c’est Ezéchiel. Devant la difficulté de sa mission, il fait bien
souvent l’expérience de sa faiblesse. Il n’est qu’un « fils
d’homme ». Mais il ne se décourage pas. Il fait l’expérience que
« l’Esprit du Seigneur vient en lui » : il obéit à cette parole
qui s’impose à lui et qui le dépasse. Et quand il mange le rouleau, il ressent
dans sa bouche un goût de miel.
Paul aussi est
prophète. Paul aussi mesure parfaitement la démesure de ce qui lui est demandé.
Il connaît les dangers de l’orgueil (être une « prophète de Dieu »,
il y a de quoi être fier...) Il fait l’expérience de sa faiblesse comme d’une grâce :
cette écharde dans sa chair, « un envoyé de Satan qui est là pour me
gifler, pour m’empêcher de me surestimer... » Non, ce n’est pas facile
d’être prophète, d’avoir à dire une parole exigeante de la part de Dieu, de
s’exposer à l’incompréhension, à la résistance, à la moquerie. Mais la
faiblesse même de l’apôtre plaide en faveur de la crédibilité de sa
parole : cela montre d’autant mieux que la puissance de la parole ne
dépend pas de celui qui la dit, mais du Christ qui habite en lui.
Nous ne sommes sans
doute pas appelés à être prophètes à la manière d’Ezéchiel ou de Paul. Mais
nous faisons parfois l’expérience d’une parole puissante, qui sort de
nous sans venir de nous, qui nous dépasse. Oui, nous aussi, nous sommes
parfois prophètes les uns pour les autres. « Tu m’as dit telle chose et
cela a changé ma vie. » « Je t’ai dit ça, moi ? ».
Nous pouvons être
attentifs à cela : nos paroles ont souvent un impact que nous ne
soupçonnons pas. C’est peut-être une grâce. Mais pas un motif pour
s’enorgueillir : l’orgueil se glisse partout, même dans les meilleures
intentions. Ne pas vouloir « faire les prophètes » les uns pour les
autres, mais être attentifs, dans la parole des autres, à ce que Dieu cherche à
nous dire à travers eux...
Venons-en,
maintenant, à l’évangile. Jésus vient dans son propre pays et s’y comporte
comme ailleurs, mais l’accueil qu’il reçoit n’est pas le même. Il y a un double
étonnement qui encadre ce récit. D’abord, il y a l’étonnement des
auditeurs : « frappés d’étonnement, ils disaient : ‘d’où cela
lui vient-il ?’ ». à la fin, il y aura l’étonnement de Jésus :
« il s’étonna de leur manque de foi ». L’étonnement des gens de
Nazareth provient de ce qu’ils croient connaître Jésus (n’est-il pas le
charpentier, le fils de Marie ?) et du fait que le comportement de Jésus
ne correspond plus à cette connaissance-là. Ils ont collé sur Jésus une
étiquette et ils refusent d’envisager la nouveauté. Oui, Jésus est le
charpentier de Nazareth, le fils de Marie, le frère de Jacques etc., mais il
est peut-être bien plus que cela. L’étonnement qui peut révéler une ouverture
d’esprit, peut au contraire fonctionner comme un étouffoir : refus de
la nouveauté, peur de changer de regard, incapacité de reconnaître en l’autre
quelque chose que je ne m’attends pas à voir en lui, quelque chose qui peut me
surprendre. Du coup, rien, ne se passe. Ou pire encore : du coup,
l’hostilité apparaît, parce que l’inattendu de l’autre me « choque »,
me provoque. Les gens de Nazareth, est-il écrit, étaient profondément choqués à
cause de lui. Littéralement : scandalisés. Et dans l’évangile de
Luc, le même épisode est poussé plus loin dans ses conséquences : les gens
de Nazareth cherchent à tuer Jésus.
Est-ce que nous
croyons que Dieu est capable de nous étonner ? Sommes-nous prêts à nous
laisser étonner par Dieu ? Si nous pensons déjà tout connaître de lui, si
nous sommes trop blessés ou trop critiques ou trop peureux... Dieu aura beau
chercher à nous surprendre, il ne se passera rien. Et croyez-moi, cela étonne
Dieu que nous soyons comme cela : si peu accueillants, parfois, à la
nouveauté de la Bonne Nouvelle.
Mais non, soyons
attentifs aux surprises de Dieu ! L’étonnement ne doit pas fonctionner
comme étouffoir, mais bien plutôt comme charnière qui ouvre portes et fenêtres.
L’étonnement positif.
Platon disait déjà
que toute philosophie commence par l’étonnement.
Cet étonnement-là
est porche de l’émerveillement, de l’action de grâce. Si nous voulons bien que
Dieu nous surprenne aujourd’hui, nous découvrirons sa présence merveilleuse,
inattendue, dans les petites choses toutes simples de nos vies. Oui, soyons
comme des enfants qui aiment les surprises. Et nous entendrons la voix des
prophètes. Et nous étonnerons le monde qui nous entoure.
Sr Marie-Raphaël
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