Evangile du 4ème dimanche d'Avent A: Matthieu 1,18-24
L'évangéliste Matthieu commence son récit par deux « Genèse
de Jésus-Christ », la première précisant qu'il s'agit du « fils d'Abraham, fils
de David ». Cela pourrait nous intriguer mais regardons-y de plus près.
Le verset 16 qui termine la « première » genèse marque une
rupture:
Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie de laquelle fut
engendré Jésus, que l'on appelle Christ. D’Abraham à Joseph, d'engendrement en
engendrement, l'arbre généalogique se dessine sous nos yeux. Brusquement le
refrain s'arrête laissant surgir une interrogation: « que se passe-t-il? »
Jésus, le premier maillon annoncé au verset 1 attire l'attention sur la
particularité de sa naissance: il fut engendré. La formulation est au passif et
l'auteur de l'engendrement n'est pas cité. Matthieu, dans la « deuxième »
genèse y revient et tente de l'expliciter. Le même titre donné aux deux récits
nous montre d'emblée que si Jésus s'enracine dans le peuple d'Israël et dans la
descendance royale, s'il a tous les titres requis pour être reconnu comme le
Christ, l'oint du Seigneur, il s'en détache en même temps. Il est le Messie
attendu et cependant il ne colle pas à l'image que l'on se faisait de lui.
Nous passons d'un langage juridique au langage de la foi, de
ce qui peut se vérifier historiquement à ce qui se révèle dans l'intime du
coeur.
Matthieu contrairement à Luc, ne retient qu'une seule
annonciation: l'annonce à Joseph. Sans doute que la communauté à laquelle il
s'adresse connaissait cette tradition et avait admis la conception virginale de
Marie et reconnu en elle la promesse de Dieu annoncée par Isaïe? Inutile alors
de la reprendre. Mais peut-être aussi que subsistait la question de la
filiation davidique de Jésus?
Toujours est-il que Matthieu décrit brièvement la situation:
Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph; or, avant
qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l'action de l'Esprit Saint.
La suite de l'histoire est entre les mains de Joseph.
Chez les Juifs, les fiançailles étaient un engagement fort,
dont on ne se libérait que par un acte de répudiation. Pouvons-nous imaginer le
déchirement que cette situation inflige au coeur de Joseph?
D'une part, sa justice, épinglée par l'évangéliste, le
retient de se faire passer indûment pour le père de l'enfant et de l'introduire
dans la lignée de David alors qu'il n'a sur lui aucun droit. D'autre part, son
amour pour Marie, sa confiance, ne peuvent imaginer qu'elle ait pu le tromper.
Il ne comprend pas et décide de se séparer de Marie, mais dans le secret...
pour ne pas l'humilier?
La délicatesse de son amour va l'ouvrir à une expérience
forte qui sera déterminante pour la réalisation du projet de Dieu. Expérience
d'une rencontre avec Dieu, tellement inconcevable dans l'Ancien Testament, que
l'on parle d'un ange du Seigneur, d'un messager céleste.... Cette rencontre
avec Dieu dans l'intime de son coeur, va transformer le jugement même de Joseph
et susciter en lui une conviction profonde: il est au coeur d'un mystère et
invité à y consentir, à y adhérer. Et le nom de l'enfant lui est confié. Et ce
don de Dieu lui confère la paternité.
C'est par Joseph, par son renoncement et son consentement
que la promesse de Dieu à David se réalise: « c'est un homme issu de toi que je
placerai sur ton trône » (ps 131,11).
Certains exégètes ont vu dans la parole de l'ange à Joseph
une opposition en relevant la particule « dè » du texte grec et traduisent
ainsi: ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint MAIS (dè) elle
enfantera un fils et c'est toi qui lui donneras le nom de Jésus.
Saint Paul nous dit de Dieu qu'il est le “Père de qui toute paternité,
au ciel et sur la terre, tire son nom.” (Eph 3,15). Et si “Dieu peut, des
pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham”, (Mat 3,9) comment ne le
ferait-il d'un homme ouvert à son oeuvre?
Le fait de la conception virginale de Marie, n'est donc pas
un obstacle à la descendance davidique de Jésus et n’ôte pas à Joseph son droit
de paternité légale que l'ange l'invite à exercer en dépassant sa réserve, sa
franchise et sa délicatesse pour les mettre au service du dessein de Dieu.
Ce texte nous invite d'abord à la contemplation de l'oeuvre
de Dieu en notre monde qu'il veut sauver de la dérive du péché. Contemplation
de sa présence dans l'histoire des hommes et de sa promesse dont rien n'arrête
la réalisation, même pas le péché.
Nous pouvons aussi, dans ce texte, trouver un enseignement
sur la transmission de la foi parfois si difficile.
Remarquons d'abord que les révélations, les annonciations
qui préparent la naissance de Jésus se font sans témoin: Zacharie, Marie,
Joseph sont seuls face à l'ange qui leur annonce un événement inédit, inouï, le
plus bouleversant qui soit. Comment l'évangile peut-il dès lors nous relater
ces événements? Sans doute à partir de confidences? Marie, Joseph tout comme
Elisabeth et Zacharie ont du un jour ou l'autre lever le voile sur leur
expérience, sur leur perception de la présence de Dieu au creux de leur vie, au
fond de leur coeur. C'est ce que l'ange Raphaël recommandait à Tobie: Alors
Raphaël les prit tous les deux à l'écart, et il leur dit : "Bénissez Dieu,
célébrez-le devant tous les vivants, pour le bien qu'il vous a fait. Bénissez
et chantez son Nom. Faites connaître à tous les hommes les actions de Dieu
comme elles le méritent, et ne vous lassez pas de le remercier. Il convient de
garder le secret du roi tandis qu'il convient de révéler et de publier les
oeuvres de Dieu.” (12,6) La transmission de la foi, aujourd'hui encore ne
passerait-elle pas par l'humble ouverture de notre coeur visité par le
Seigneur. Les psaumes sont-ils autre chose que l'expression de foi de quelqu'un
qui a fait l'expérience de l'action de Dieu en lui et autour de lui et ne nous
invitent-ils pas à rendre grâces, à chanter les louanges du Seigneur?
Oui rendons grâces pour la foi qui nous a été transmise par
tant d'hommes et de femmes, pétris de la Parole, ouverts à l'Esprit et qui ont
su trouver des mots pour laisser transparaître les convictions forgées dans la
prière et la contemplation.
Sr Elisabeth
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire